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Je roulais tranquillement par une belle journée ensoleillée, une légère brise caressait mon visage. Mes amis, avec qui je m’étais lancé dans cette escapade, étaient loin derrière moi et cela me procurait un sentiment de bonheur inexplicable. Puis c’est alors que je l’ai entendue, arrivant au loin avec son bruit si spécifique, la carapace bleue était en route. Cette ballade allait irrémédiablement changer d’ambiance.

Tantôt effrayante, tantôt euphorisante, la carapace bleue de Mario Kart est devenue l’un des objets les plus iconiques de la licence. Une mécanique de jeu diablement efficace, de laquelle vous inspirer pour votre jeu, même si celui-ci n’a rien d’un jeu de course.

L arme ultime de Mario Kart

Mécanique de la carapace

Avant de parler de votre propre jeu, et de comment y intégrer la technique de la carapace bleue, commençons par observer comment elle fonctionne et ce qu’elle peut apporter comme avantages. Pour les 2 du fond qui n’auraient pas joué à Mario Kart depuis l’épisode originel, la carapace bleue est une arme obtenue aléatoirement qui va directement aller fracasser le pilote en pôle position. Un objet simple et efficace, qui va provoquer un certain nombre d’effets pour le lanceur comme pour la victime.

Dégâts collatéraux

Dans sa première version sur Nintendo 64, la carapace bleue fonçait droit sur le joueur de tête en empruntant la route. Si l’on avait la malchance de se trouver sur la trajectoire entre le premier de la course et le lanceur de la carapace, on risquait de se prendre un coup au passage. Au moindre signe annonciateur, on se rapprochait vite des bords de la route, ou on faisait même parfois un petit peu de hors piste pour assurer ses arrières.

L’arme a évolué pour devenir la carapace ailée d’aujourd’hui, qui va voler directement sur sa cible et l’exploser. Les chances de percuter un autre joueur au passage ont donc disparu. La carapace va cependant exploser en touchant sa cible (contrairement à son ancêtre qui ne faisait que percuter le pilote) et provoquera ainsi une zone d’effet autour du joueur de tête. Si le second, le troisième ou même les suivants sont accolés à la victime, ils subiront l’explosion de l’arme eux aussi.

Heureusement pour le roi Arthur, le lapin de Troyes n’explose pas.

La méthode consistant à mettre un gros coup de frein, pour passer le bébé au second au dernier moment, s’avère donc moins efficace. Pour s’en sortir, il faudra freiner assez tôt et se retrouver hors de portée de l’explosion.

Imparable et à tête chercheuse

La carapace bleue est (quasiment) inévitable une fois lancée. Celle-ci ne peut pas être stoppée par une banane, une autre carapace ou un joueur dans la trajectoire. La seule solution pour s’en défaire simplement n’existe qu’avec l’utilisation de l’objet klaxon (ajouté dans Mario Kart 8) ou d’une étoile d’invincibilité. Si le joueur en tête de course ne dispose pas de l’un de ces objets, il sera inévitablement frappé par le projectile.

Les joueurs les plus doués vous diront qu’il est possible d’esquiver l’explosion de la carapace bleue avec un accélérateur champignon déclenché au parfait moment. Cette technique reste cependant réservée à une infime part des joueurs de Mario Kart qui représente plus l’excellence technique qu’une mécanique accessible au commun des mortels.

La tête chercheuse de la carapace bleue rend celle-ci bien plus menaçante que d’autres armes du jeu. En effet, si l’un de vos adversaires déclenche une étoile d’invincibilité, rien ne dit qu’il va vous percuter, un peu de hors piste pourrait vous sauver. Alors qu’avec une carapace bleue, sortir de la route ne vous sera d’aucune utilité.

Ciblée

Si d’autres armes sont aussi inévitables et démesurées que la carapace bleue, elles sont en revanche moins impactantes pour le joueur, car moins ciblées. L’éclair miniaturise par exemple tous les adversaires de son lanceur sans distinction. La carapace bleue va à l’inverse cibler uniquement le joueur de tête et se focaliser sur lui.

La victime de l’arme perd alors de sa progression, tandis que le lanceur n’en gagne que peu ou pas, générant un sentiment d’injustice. Du point de vue du pilote de tête, avec ou sans carapace, le lanceur aurait fini bon dernier et n’avait donc aucun intérêt à l’attaquer. C’est en fait plus compliqué que cela (ce que l’on verra sur la partie équilibrage) mais le sentiment d’injustice est bien présent chez la victime.

D’autres armes ciblent, elles aussi, un joueur unique, comme la carapace rouge. L’effet est cependant moins marquant puisqu’il est possible de se débarrasser de celle-ci à l’aide d’un objet défensif, comme une banane ou une autre carapace. C’est le mélange de ciblage précis et d’inéluctabilité qui va donner à la carapace bleue toute sa portée émotionnelle sur les joueurs.

Les sentiments générés

Un sentiment de puissance.

À l’instar de l’éclair, qui rétrécit tous les autres participants temporairement, la carapace donne au joueur le possédant un pouvoir dévastateur et démesuré. Le plaisir de l’objet vient autant de l’effet qu’il peut effectuer sur le jeu, que celui qu’il peut créer sur les autres joueurs. Finir bon dernier est un détail, lorsque l’on a eu le plaisir de pulvériser le premier à 5 m de la ligne d’arrivée, et de lui faire perdre quelques places au dernier moment.

Le fatalisme ou l’espoir

Dans les épisodes précédents Mario Kart 8, le simple fait de voir ou entendre la carapace générait un sentiment de fatalisme pur. Celui-ci était souvent représenté par des phrases comme “Et merde….”, “Fait chier…” ou “Oh non bâtard !”. L’objet, une fois lancé, est inarrêtable et il ne reste comme solution qu’à sauter sur le frein pour essayer de refiler le bébé.

Depuis MK8, une carapace peut être évitée en utilisant l’objet Klaxon. Celui-ci génère une onde de choc autour du joueur qui désactivera tous les projectiles aux alentours. Il faut donc avoir l’objet en stock et l’utiliser au moment adéquat, une situation possible, mais pas si fréquente. La cible de la carapace bleue a cependant une lueur d’espoir à la découverte du projectile, et pourra s’accrocher à l’idée de récupérer un Klaxon (ou une étoile) dans les prochains mètres.

Le procédé génère souvent auprès du joueur, utilisateur comme victime, un ascenseur émotionnel :

  • Tout fier d’être premier, je me crois invincible, mais me retrouve 8ᵉ quelques secondes plus tard.
  • Bon dernier, je me sens nul. Puis, je peux tout à coup pulvériser le joueur en tête sans la moindre difficulté.
  • J’entends une carapace bleue foncer sur moi, je stresse ! Je ramasse in extremis un Klaxon et me débarrasse de celle-ci, soulagement intense.
  • J’avais pris le plaisir de narguer le pilote de tête, tout en lui lançant une carapace bleue. Il récupère malheureusement un klaxon et défait mes plans. Je suis dernier, et en plus je suis passé pour un con.

Les mécanismes de la peur

Le sentiment le plus marquant de la carapace bleue reste cependant la peur que celle-ci génère. Ce procédé repose sur des mécanismes assez connus du survival horror et du film de genre, dont voici quelques exemples.

La menace fantôme

Si le premier film de la saga Alien a si bien vieilli et reste efficace, c’est parce qu’il applique l’une des plus vieilles recettes du monde : on a peur de ce qu’on ne voit pas. Le xénomorphe du film est en effet quasi invisible et n’apparait que rapidement pour créer des points de tension auprès du spectateur. La créature est d’ailleurs bien plus flippante lorsqu’on l’entend courir dans les conduits d’aération qu’au moindre gros plan de son horrible tête.

Si la carapace bleue ne court pas dans les conduits, on l’entend arriver doucement, mais surement au loin. Les plus taquins pourront même accentuer l’effet en jeu local. Il suffit d’une petite phrase pour alimenter la paranoïa : “J’ai pas entendu une carapace bleue là ?”

Une menace invincible.

L’autre point commun entre l’Alien et la carapace bleue, c’est son invincibilité. Face à un xénomorphe, aucun humain n’a réellement de chance de s’en sortir. Ellen Ripley est bien plus qu’une humaine lambda et reste bien la seule à avoir survécu en slip face à ce monstre extra-terrestre. Il lui aura d’ailleurs fallu attendre le second film pour s’équiper d’un objet puissant (le lance-flamme) afin de vaincre l’une de ces créatures. De la même façon, aucun des pilotes n’a de chance d’esquiver une carapace bleue sans un bon équipement (Klaxon ou étoile) et ferait mieux de tout faire pour l’éviter, plutôt que l’affronter.

C’est même le principe de base du jeu vidéo éponyme Alien Isolation, dans lequel le xénomorphe est seul, silencieux, lent, mais invincible. Pour vous en sortir, il ne faut pas tuer la bête, car cela serait un affrontement démesuré, mais l’éviter.

Pour le chevalier noir, perdre un bras n’est qu’une égratignure.

La carapace bleue est donc à éviter au maximum. En jeu local sur écran splitté, vous pouvez l’apercevoir dans la zone du joueur adversaire et ainsi mettre un gros coup de frein pour passer second. Une fois la collision effectuée, vous pourrez repasser premier. En parties en ligne, la menace sera malheureusement bien moins facile à repérer, la rendant encore plus flippante (comme on vient de le voir au chapitre invisibilité).

Disciplinée comme une machine

Le T-800 est un robot envoyé du futur dont la mission est simple : trouver Sarah Connor et la tuer. Une fois sa cible verrouillée, le Terminator la pourchasse et ne s’arrêtera pas avant d’avoir accompli sa mission. La carapace bleue, c’est un peu pareil, sa seule mission est d’exploser le joueur de tête et une fois la cible verrouillée, il la pourchassera jusqu’à la fin.

Le chevalier noir n’abandonne jamais le combat.

De la même façon, le film d’horreur It Follows présente une menace lente, qui bien qu’elle change parfois de cible en route, ne s’arrêtera pas avant d’avoir atteint son objectif. Le danger prendra peut-être des jours, des semaines, des mois, mais il finira par arriver. C’est l’attente qui va renforcer cet effet de peur créé par la menace.

La grande question est de savoir à quel moment la carapace va verrouiller sa cible. Si c’est à son lancement, inutile de mettre un coup de frein, il est déjà trop tard. Si le ciblage se fait plus tardivement, il reste alors encore l’espoir de refiler la patate chaude au second. À moins que celui-ci, n’ayant, lui aussi, détecté la carapace, ne décide de sauter sur le frein pour vous laisser premier jusqu’à ce que l’arme ait fait son œuvre. L’attente, renforcée par le bruit continu de la carapace se rapprochant, va accentuer l’effet de peur en matérialisant son approche inexorable.

C’est de la bombe atomique

Un vieil adage dit “si tu veux la paix, prépare la guerre”. Une phrase qui prend tout son sens depuis l’invention de la bombe nucléaire. Celle-ci est en effet tellement dévastatrice et démesurée que le simple fait de menacer son utilisation suffit à générer la peur. Dans le Docteur Folamour, toute l’intrigue tourne autour du fait d’avoir, ou non, volontairement déclenché une guerre nucléaire à force de menacer l’utilisation de la bombe atomique. C’est globalement tout le contexte de la guerre froide, où la menace d’utiliser l’arme est utilisée comme argument persuasif à part entière.

La carapace bleue, et indirectement le Klaxon, remplissent, eux aussi, ce rôle d’élément persuasif. Si je récupère une carapace bleue lors du premier tour, je peux la conserver un long moment en menaçant de la déclencher à l’instant opportun. Un procédé qu’on peut aussi appliquer à l’éclair. De la même façon, si j’ai un Klaxon en main, je vais le garder même si celui-ci m’empêche de récupérer d’autres objets. Cela démontrera à mes adversaires une certaine sécurité, si l’un d’eux a une carapace à m’envoyer.

L’arme de persuasion n’est cependant pas une assurance, puisque l’objet fantôme permet d’aller voler celui d’un adversaire aléatoire. Je peux conserver ma carapace bleue pendant 2 tours, et me la faire piquer au début du 3ᵉ. Je peux aussi me faire voler mon klaxon, ce qui laissera le champ libre aux autres pour m’envoyer leurs armes. C’est quand même bien fichu tous ces objets dîtes-moi.

Le combo de la muerte

Si chacune des mécaniques peut fonctionner indépendamment des autres, le croisement de plusieurs d’entre elle va renforcer l’effet de peur. Une mécanique persuasive et invincible (Teminator) ou invisible et déterminée (It Follows) fonctionne sans problèmes.

Il n’est cependant pas nécessaire de cocher toutes les cases. La carapace bleue est une arme persuasive, invincible, invisible et déterminée, mais c’est le cas d’école à étudier et ne représente pas une formule stricte à appliquer.

Reconnaissable

Pour que la carapace bleue puisse générer le sentiment de peur, il faut qu’elle soit facilement identifiable. Dans le retour des tomates tueuses (mes références cinématographiques sont fantastiques n’est-ce pas ?), la panique est déclenchée à la simple vue d’une tomate unique. Rondes et bien rouges, les tomates sont faciles à repérer.

Les chevaux du Roi Arthur sont très facilement reconnaissables

La couleur bleu vif de la carapace permet de l’identifier d’un seul coup d’œil. Les autres armes du jeu ne sont en effet pas dans les mêmes coloris. Si l’un de vos adversaires en récupère une lors d’une partie multijoueur sur écran splitté, votre vision périphérique devrait la détecter immédiatement.

Une fois lancée, celle-ci se différencie aussi des autres par son animation et son sound design. La version ailée passant au-dessus de tout le monde permet de voir l’arme passer au loin, ou au-dessus de votre tête. Côté son, bien que celui-ci ait évolué au fil des épisodes, la carapace génère toujours un bruit d’alerte continu, qui permet de l’entendre arriver.

Équilibrage

Remuer la soupe

Au-delà des différentes réactions émotionnelles provoquées par la carapace bleue, celle-ci a aussi vocation d’équilibrer le jeu (malgré le sentiment d’injustice qu’elle génère). L’arme est en effet distribuée aux joueurs dans les dernières places, afin de permettre à ceux-ci de remonter dans la course. Même si le projectile impacte théoriquement seulement le premier joueur, il peut toucher plusieurs joueurs via dégâts collatéraux et créer, par réaction en chaine, une remontée du joueur ayant lancé l’arme.

Balancez-lui une carapace bleue ! Ouaaiiis une bleue !

Si la version ailée de la carapace bleue est bien moins punitive pour les “innocents” sur le trajet que son ancêtre, elle est plus virulente avec le peloton de tête. Elle est aussi plus efficace sur l’animation générale de la course. En effet, une fois le peloton rétrogradé, celui-ci va très vite remonter en tabassant les nouveaux joueurs en pole position. Pendant ce temps, les derniers peuvent remonter, eux aussi, et balancer leurs armes dans la bataille, déjà surement bien bordélique. La carapace bleue permet de brasser tout ce beau monde et de donner du dynamisme à la course.

L’important c’est de participer

Mario Kart est un jeu familial, et il se peut que votre tonton Jean-Michel soit, malheureusement pour vous, bien trop doué à ce jeu. La carapace bleue va alors permettre d’équilibrer les charges et de vous donner une chance de l’envoyer au moins à la seconde place. Cumuler une carapace bleue du 8ᵉ joueur, avec des rouges du second et des vertes du 3ᵉ, vous permettra peut-être de montrer à ce bon vieux Jean-Mich que vous n’êtes pas du genre à vous laisser faire.

Votre cousin Kevin, qui est à l’inverse complètement nul, aura même le plaisir de faire valdinguer son papa avec une carapace bleue. Même si tonton finit premier, et Kevin dernier, tout le monde aura bien rigolé. Les nombreuses armes de Mario Kart, et la carapace bleue en particulier permettent de donner du fun à chaque joueur et pas seulement au gagnant. C’est ça aussi l’équilibrage d’un jeu.

La technique de la carapace bleue dans d’autres types de jeux

En reprenant les éléments que l’on vient de décortiquer, on peut retrouver bon nombre d’objets, de boss, ou d’ennemis à reprendre ces mécanismes dans d’autres jeux. Je vous en livre quelques-uns, parfois très différents de Mario Kart, pour illustrer la diversité des possibilités.

Worms

On reste tout d’abord dans le jeu multijoueur de canapé avec l’une de ses armes iconiques de Worms : la Sainte-Grenade. Celle-ci est très simple à utiliser : dégoupillez, lancez, écoutez et admirez ! L’arme est bien plus puissante que les autres grenades du jeu. Elle génère une zone d’impact plus grande et un effet de souffle démentiel. Le tout parfaitement théâtralisé, grâce à son inoubliable sound design (Alléluia !) et son visuel atypique d’une arme de guerre.

La puissance de l’objet est démesurée, confère un sentiment de puissance à son possesseur, qui peut aussi s’en servir comme arme persuasive. On est parfaitement raccord avec la technique de la carapace bleue.

Sea of Thieves

Toujours multijoueur, mais en FPS (et Game as a Service), Sea of Thieves, le jeu de pirates qui occupe bien trop d’heures de ma vie. Dans celui-ci, la technique de la carapace bleue n’est pas appliquée à un objet, mais à un ennemi puisqu’il s’agit du légendaire Kraken.

Celui-ci débarque alors qu’aucun autre événement n’est en cours sur le serveur (fort, bateau fantôme, etc) et s’attaque à votre bateau que celui-ci soit vide, ou plein à craquer de coffres. Le monstre marin se verra plus ou moins agressif et/ou résistant selon la taille de votre équipage et vous en fera découdre en Sloop comme en Galion. Une fois vaincu, celui-ci libérera de nombreuses richesses pour vous récompenser de votre combat.

Démesuré et déterminé, celui-ci permet aussi un équilibrage de fun. En effet, si dans Mario Kart, si je vois passer une carapace bleue alors que je suis en seconde position, je vais envoyer mes armes en supplément pour achever le premier et prendre sa place. Dans Sea of Thieves lorsque l’on aperçoit un Kraken attaquer un bateau au loin, on ne part pas aider les autres joueurs. On attend patiemment que l’autre équipage ait épuisé son stock de boulets, de planches et de nourriture pour aller les achever et récupérer le loot du tout (Kraken + ce que le bateau avait déjà). Oui, c’est dégueulasse, mais c’est ça le fun de la piraterie.

Final Fantasy

Je termine mes exemples avec des jeux solo, issus de la saga de RGP japonais de Squaresoft. Celle-ci utilise la méthode de la carapace bleue de plusieurs façons et à de multiples reprises.

FF VII (à prononcer Final Fantasy Sept et non pas Vé, bâton, bâton)

Au “début” de Final Fantasy VII, une fois sorti de la ville de départ, il vous faudra trouver un moyen de traverser les marais de Midgar. Ceux-ci sont en effet protégés par le Zolem, un serpent géant à la puissance et la taille démesurées. L’affrontement contre la bête serait trop ardu pour s’en sortir et il vaut mieux l’esquiver. Il est d’ailleurs l’un des rares ennemis à apparaitre sur la carte, afin d’effrayer le joueur dès que celui-ci verra le monstre foncer dans sa direction.

Le Zolem peut en fait être vaincu dès le début du jeu, si vous passez quelques (longues et ennuyeuses) heures à faire du leveling. Avec un niveau assez élevé, vous pourrez vaincre la créature, qui rapportera finalement assez peu d’expérience, mais un talent de l’ennemi à l’inverse assez puissant

La méthode est reprise plus tard avec les boss les plus puissants du jeu : les armes. Si certaines sont utiles au scénario principal, les 3 dernières, bien plus coriaces, sont optionnelles et ne représentent qu’un défi supplémentaire pour les joueurs chevronnés. Ces adversaires représentent ainsi une sorte d’équilibrage de fun pour ceux qui s’ennuieraient. Pour les autres joueurs, les armes des Terminators et le simple fait de les apercevoir au loin incite à rebrousser chemin pour ne pas attirer leur attention.

FF VIII (le 8, mais pas la suite du 7)

Dans l’opus suivant, on retrouve la technique de la carapace bleue dans un lieu spécifique, les ruines de Centra. En rentrant dans cette étrange tour, un compte à rebours de 20 minutes se déclenche et il vous faudra dénicher un boss spécifique et le vaincre avant la fin du temps imparti, sinon ce sera la mort. Celui-ci n’est pas spécialement difficile à vaincre, puisqu’il n’attaque pas. Il suffira de le tabasser à outrance pour mettre ses points de vie à zéro avant la seconde fatidique.

Ce sont malheureusement les combats aléatoires dans cette zone qui vont poser problèmes, car l’ennemi à peupler les lieux est le tomberry. Ce petit monstre, assez mignon malgré son couteau de boucher, avance tout doucement (c’est dommage quand votre temps en limité) et n’utilise que 2 attaques. Il peut cependant tuer l’un de vos personnages en un seul coup, si votre niveau n’est pas assez élevé.

Méfiez-vous toujours des animaux mignons

Une fois le fameux boss vaincu, il se joint à vous pour devenir l’une des invocations les plus fortes du jeu (Odin). Malheureusement, vous ne déciderez pas quand celle-ci interviendra et elle pourra se déclencher contre un boss, tout comme contre le plus misérable ennemi de la zone. L’invocation donne un sentiment de puissance au joueur à chaque apparition, sans pour autant casser tout l’équilibrage du jeu.

Mais ce n’est pas tout, une fois Odin vaincu, vous pouvez déambuler dans les ruines de Centra sans limite de temps et débloquer une seconde invocation. Les tomberrys sont en effet toujours là et il faudra en avoir vaincu entre 20 et 50 pour espérer voir Tomberry Senior débarquer. Une fois vaincu, il se joindra à vous.

Le Tomberry est facilement reconnaissable, son attaque est démesurée, lente et inévitable, à moins de le tuer avant. On retrouve bien ici la technique de la carapace bleue.

Créer votre technique de la carapace bleue

Après cette longue analyse, vous devriez comprendre plus facilement ce que j’appelle la technique de la carapace bleue. Comme bien souvent avec les concepts de mon invention, il ne s’agit pas d’une règle ou d’une définition stricte, mais plutôt d’une façon globale de penser. N’ayant donc pas de recette secrète, magique et infaillible pour créer votre propre mécanique, je peux néanmoins vous guider dans la façon de concevoir celle-ci.

Comme on l’a vu précédemment, la technique de la carapace bleue peut s’adapter à d’autres types de jeu qu’un Mario Kart. Selon votre projet, la mécanique pourra prendre la forme d’un objet, d’un personnage (ami et/ou ennemi), ou même d’un élément immatériel comme un sort ou une habilité. Car ce qui va impacter le joueur n’est pas la forme de votre mécanique, mais son effet émotionnel.

Créer la peur et le sentiment de puissance

Actionner ou subir

Le sentiment de puissance, qu’il soit en possession du joueur ou celui de son adversaire, vient essentiellement du fait de son effet démesuré. Si le joueur doit affronter cette force gigantesque vous allez générer de la peur. Si à l’inverse, c’est lui qui possède ce pouvoir, vous lui donnerez un fort sentiment de puissance.

Pour définir si votre mécanique accomplira l’un ou l’autre des effets, il suffit de vous demander si la technique sera actionnée (totalement ou non) par le joueur ou subit par celui-ci.

Carapace bleue actionnée
sentiment de puissance
Carapace bleue subit peur
Tomberry senior actionné
sentiment de puissance
Tomberry subit peur
Odin actionnée aléatoirement
sentiment de puissance
Odin subit peur
Kraken subit
peur puis sentiment de puissance si vaincu
Votre mécanique activée ou subit ?
peur et/ou sentiment de puissance ?

Utiliser les variables

Si vous deviez classer les éléments de votre jeu du plus faible au plus fort, la carapace bleue devrait être tout en haut de cette liste, à bonne distance de la seconde ligne.

  • Vos armes tabassent avec une force de 50 à 100 points, inventez-en une qui va infliger 200 points de dégâts.
  • Les boss de votre jeu possèdent entre 10 000 et 20 000 Points de Vie, créez un sac à PV de 50 000 à anéantir.
  • Le joueur dispose de 5 cartes par tour dans votre card game, imaginez un sort qui le fera piocher 10 cartes d’un seul coup.

La forme va grandement varier d’une production à l’autre, mais dans (presque) tous les cas, le jeu repose sur un système avec des variables (connues ou non du joueur) sur lesquelles vous appuyer pour créer cette mécanique démesurée. La carapace rouge de Mario Kart cible l’adversaire en position N+1 du joueur, tandis que la bleue vise celui en position 1.

Une mécanique unique du jeu

Votre boucle de gameplay sous stéroïdes

Si vous ne savez pas quelle variable utiliser pour créer votre carapace bleue, vous pouvez revenir aux bases et pousser les potards à fond. Votre jeu repose sur une boucle de gameplay principal que vous devriez pouvoir formaliser en une seule phrase résumant l’objectif du joueur :

Le joueur est dans une course de kart et doit arriver premier malgré les armes des autres joueurs.

On reprend les mots de cette phrase, pour trouver quels sont les éléments clés qui vont nous permettre d’agir. Freiner la progression du joueur vers l’objectif va créer la peur. À l’inverse, l’aider à atteindre son but plus rapidement, lui donnera un sentiment de puissance.

  • Si je veux créer la peur chez le joueur, je réfléchis à un élément qui va l’empêcher d’arriver premier à la course.
    > En lui faisant subir une attaque directe s’il est pole position.
  • Si je veux créer le sentiment de puissance, je cherche un moyen d’aider le joueur à arriver premier.
    > En ciblant directement le premier, je vais le faire régresser et libérer la premier place.

Ainsi naquit la carapace bleue. Enfin, c’est un peu plus compliqué que ça, mais si vous cherchiez une idée pour démarrer c’est un bon début. À vous de résumer l’objectif de votre joueur en une phrase :

Mon joueur…

Ne jamais croiser les effluves

Pour que la technique de la carapace bleue puisse donner un sentiment de puissance, il faut qu’elle soit la seule à être si efficace. Si vous multipliez les pouvoirs démesurés, le niveau global de puissance de votre jeu va augmenter et les effets théoriquement démesurés, le seront donc moins. Multiplier les mécaniques va de plus rendre l’équilibrage de votre jeu encore plus compliqué.

Pour palier à ce risque, concentrez-vous sur une seule mécanique démesurée, en la contextualisant non pas avec la moyenne des autres variables, mais avec la valeur médiane du total des variables. Si cette phrase vous semble trop obscur, cette vidéo de La statistique expliquée aux chats devrait vous permettre de comprendre facilement.

De très rares jeux arrivent à multiplier les effets de puissance, en leur donnant des caractéristiques très différentes. DOOM 2016 parvient par exemple à en mêler plusieurs :

  • C’est le BFG (Big Fucking Gun) qui fait office de carapace bleue, en déclenchant une vague qui va décimer tous les ennemis à portée de vue (hors boss). L’arme donne un sentiment de puissance assez fou, puisqu’elle peut vider une salle pleine à craquer de puissants démons. Le nombre de munitions maximales pouvant être transportées est cependant très limité (3 balles) afin de ne pas pouvoir abuser de cette force. Une mécanique qu’on retrouve d’ailleurs dans de nombreux shoot’em up sous forme de la Smart Bomb.
  • À cela s’ajoute la tronçonneuse, seconde carapace bleue du jeu. Celle-ci permet au joueur de découper en 2 un ennemi, tout en libérant un gros stock de munitions pour les autres armes. Le restant des ennemis aux alentours sera toujours présent, mais la tronçonneuse permet de se débarrasser du plus dangereux. Il ne reste ensuite qu’à vider vos chargeurs, fraichement remplis, sur les survivants. Ici aussi le nombre de munitions maxi (sous forme de carburant) est limité afin de ne pas pouvoir abuser de cette capacité.

Un mélange subtil de mécaniques démesurées, mais aux effets totalement différents. De plus, les munitions des 2 armes sont assez rares à trouver. Ce qui nous amène à la partie la plus compliquée du travail.

Équilibrer

Après avoir créé votre mécanique à la puissance démesurée, il va falloir équilibrer celle-ci avec le reste du jeu. En effet, si elle peut être utilisée trop facilement par le joueur, il deviendra vite ennuyeux. S’il s’agit d’un élément à affronter, la répétition ou trop grande difficulté va frustrer le joueur et le pousser à éteindre la console.

Jouer sur l’attribution

La carapace bleue de Mario Kart utilise un système pour définir quel joueur va pouvoir obtenir l’arme de renom. Si l’objet obtenu est en effet aléatoire, un certain nombre de règles viennent filtrer les solutions possibles. Ainsi un joueur dans le top 3 ne peut pas obtenir de carapace bleue, tandis que le dernier aura une chance plus élevée d’en obtenir une, que le 4ᵉ. C’est encore une histoire de variables, mais utilisées un peu différemment.

L’aléatoire et les probabilités

La solution la plus simple consiste à mettre une probabilité unique sur votre effet dévastateur. C’est le cas de l’invocation d’Odin dans FF VIII. Comme expliqué précédemment, celui-ci ne vient pas s’ajouter à la liste des invocations possibles, mais interviendra de façon aléatoire dans les combats. Le joueur a donc X% de chances de voir Odin débarquer dans un combat et de couper en 2 tous les adversaires.

Le sentiment de puissance est présent à chaque apparition, bien que l’effet ne soit pas activé par le joueur lui-même. Car même si l’attaque est aléatoire, l’intervention d’Odin est possible parce que le joueur a accompli la quête permettant de le déverrouiller. Cette méthode permet ainsi d’éviter tout abus d’utilisation du joueur, tout en lui offrant une sorte de récompense pour la quête annexe.

Toutes les mécaniques ne sont malheureusement pas si simples à équilibrer.

Pour toute ressource obtenue aléatoirement (objet de Mario Kart, munitions de DOOM) il va vous falloir équilibrer le taux de chance de l’obtenir selon la situation.

  • Dans une situation A, la probabilité d’obtenir la carapace bleue est de X%.
  • En situation B, le pourcentage sera :
    • soit de façon fixe (Y%),
    • soit relative (X/2%).

Et pour vérifier que tout cela soit équilibré, il va falloir faire des playtests, d’autres playtests et encore plein de playtests.

Vous pouvez à l’inverse utiliser une probabilité pour définir la situation de base qui fonctionnera sous conditions fixes. Je m’explique avec l’exemple du Tomberry Senior de FF VIII. En combat aléatoire dans les ruines de Centra :

  • Vous avez X chances d’être en situation A et tout le reste d’être en situation B.
    • En situation A, Tomberry Senior débarquera après que le joueur ait vaincu au moins 20 Tomberrys.
    • En situation B, Tomberry Senior ne débarquera que s’il a vaincu au moins 50 Tomberrys (plus du double).

Situation de déclenchement

En dehors de règles aléatoires, vous pouvez définir les conditions d’attributions fixes qui vont permettre de libérer ou non la technique de la carapace bleue.

Dans Sea of Thieves, le Kraken ne se manifeste que si aucun autre événement du jeu n’est en cours. Ceux-ci étant visibles n’importe où sur la carte grâce à un nuage dans le ciel, je sais en voyant un fort actif, que je peux naviguer sans risques. Si à l’inverse aucun événement n’est actif et que mes cales sont pleines, je vais peut-être attendre un peu avant de prendre la mer, puisque la bête est potentiellement là. Grâce à des règles d’attributions connues, le Kraken devient un élément persuasif qui va générer de la peur.

Dans Final Fantasy VIII, Odin se joint à l’équipe après avoir été vaincu par le joueur, malgré la limite de temps impartie pour le battre (mécanique unique du jeu). Rien d’aléatoire ici, seulement une condition d’attribution particulière. L’invocation est une sorte de récompense pour avoir accompli la quête.

Dans Worms WMD, la Sainte-Grenade peut être obtenue aléatoirement sur le terrain, mais aussi fabriquée par le joueur à partir de ressources qu’il aura obtenu en démontant d’autres armes. Cumulant ainsi une condition aléatoire et une règle fixe.

À vous de décider, ou non, de prévenir le joueur des conditions d’attribution. Dans tous les cas, il finira par le savoir, par un ami, sa propre expérience ou par internet (et avant on achetait des livres de soluces).

Fréquence

Pour calibrer votre mécanique, il est possible d’interagir sur sa fréquence et créer un effet de rareté. Ici aussi, ce sont vos variables qu’on va utiliser pour équilibrer les choses.

Dans un jeu solo, la mécanique peut-être un objet unique. La Master Ball de Pokémon (bleu ou rouge) en est un bon exemple  puisqu’elle permettait de capturer n’importe quel Pokémon avec un taux de réussite de 100% (une puissance démesurée). Elle n’existe qu’en un seul exemplaire et il n’est pas possible d’en obtenir d’autre.

De nombreux joueurs, au courant de sa rareté, la conservait précieusement pour capturer Mewtwo, le Pokémon le plus puissant du jeu. D’autres ont (comme moi) capturés un autre Pokémon avec leur Master Ball (Artikondin dans mon cas), pour apprendre par la suite (via un ami) sa rareté et l’existence de Mewtwo. J’avais bien les boules comme disent les djeun’s. Comment ? Ils ne disent plus ça ?

S’il y avait eu plusieurs Masters Balls, l’effet aurait été moins percutant auprès des joueurs. De plus, le jeu comportait 4 Pokémons légendaires (5 en fait, mais on ne savait pas comment débloquer Mew à l’époque). Si en attraper 1 sans le moindre effort est un bon coup de pouce, en capturer 2 aussi facilement aurait été trop déséquilibré.

Jouer avec l’espace temps

La carapace bleue de Mario Kart génère une zone d’impact qui va toucher les autres pilotes. Pour équilibrer celle-ci, les équipes de Nintendo ont sans doute dû faire de nombreux essais et affiner au fur et à mesure la portée de cette zone. Plus large elle aurait peut-être rendu l’arme trop puissante. Plus restreinte, elle n’aurait pas autant impacté les autres pilotes, rendant la course indirectement moins dynamique.

L’espace peut aussi se jouer à plus grande échelle en délimitant des lieux et pas seulement des portées. Le Kraken n’attaque qu’en pleine mer. Les Tomberrys ne sont présents que dans les ruines de Centra.

De la même façon, vous pouvez jouer avec le temps pour limiter l’effet de votre mécanique. Une puissance démesurée pendant seulement quelques secondes peut suffire à donner un sentiment de puissance, sans déséquilibrer tout le jeu. Vous pouvez aussi imposer un temps de rechargement avant un nouveau déclenchement, afin d’affiner encore un peu plus les choses.

Équilibrer le fun

La carapace bleue permet à votre cousin Kevin de s’amuser même s’il est nul, et à Jean-Mi d’avoir un peu d’animation même s’il est trop fort. La mécanique permet ici d’équilibrer le plaisir des joueurs (et non du jeu) grâce à une puissance démesurée.

Plusieurs armes de Worms sont aussi volontairement déséquilibrées que la Sainte-Grenade. Celles-ci sont présentes pour renouveler le plaisir des joueurs. Utiliser un Armageddon est un quasi-suicide et l’on ne sait jamais ce qu’il va rester de la map après. Mais le plaisir de tout faire péter et de potentiellement remettre les compteurs à zéro, inverser la situation ou l’aggraver, fait partie du charme du jeu.

Si vous souhaitez utiliser la technique de la carapace bleue pour équilibrer le plaisir de vos joueurs et non du jeu, pensez à vérifier que cela corresponde aux valeurs de votre titre. Un objet à la puissance démesurée mal équilibré dans un party game de canapé, c’est très rigolo, alors que dans un jeu compétitif, c’est une hérésie.

Démesuré, mais pas punitif

Il y a une très, très grande différence entre un jeu difficile et un jeu punitif. Pour le comprendre faisons un essai rapide, prenez Mario Maker, inventez un niveau sans vous demander à quelle distance et avec quelle précision saute Mario. Ajoutez le plus d’ennemis possibles, ne mettez aucun bonus et faites tester le tout à votre cousin Kevin. Aucune chance de le voir terminer votre niveau, non par car votre jeu est difficile, mais parce qu’il est punitif. À aucun moment ce pauvre Kevin n’a eu la moindre chance de s’en sortir.

La carapace bleue est démesurée, mais elle ne vous fait pas perdre toute la course pour autant. Vous pouvez serrer le peloton pour diffuser son effet aux autres, refiler le bébé au second, l’esquiver avec une étoile, etc. Malgré sa puissance, la victime peut s’en remettre et même terminer premier quand même.

De la même façon :

  • Odin ne vous laisse que 20 minutes pour vaincre sa tonne de PV, mais ne vous attaque pas.
  • Les Tomberrys ont une grosse faiblesse à la magie Quart.
  • La Sainte-Grenade mal lancée peut péter à la tronche de son lanceur.
  • Le Kraken adapte sa difficulté à la taille de l’équipage et peut être tué par une équipe bien organisée.

Bye bye le jeu

Avec un niveau de difficulté trop élevé, le joueur va être dégouté du jeu et l’abandonner, voir le revendre ou se faire rembourser. Laissez donc toujours de la marge de manœuvre à votre joueur pour qu’il puisse surmonter cet événement.

Quand après 10 h de jeu sur Darkest Dungeon, toute mon équipe est morte en quelques secondes de la malaria, je n’ai pas compris. J’ai retenté un run qui s’est terminé de façon tout aussi violente après quelques heures (sans me laisser la moindre chance). Puis j’ai fait une 3ᵉ tentative, obtenant le même résultat. J’ai mis la cartouche dans sa boite, postez une annonce sur internet et vite revendu ce jeu équilibré à la truelle. J’aime la difficulté bien dosée (je suis même complétiste), mais je n’aime pas trop qu’on me prenne pour un con.

C’est grâce à une crise cardiaque du dessinateur que l’équipe échappe au bien trop fort boss du donjon.

Portez une attention toute particulière à l’équilibrage si votre carapace bleue est un boss. Celui-ci doit être là pour renouveler l’intérêt, apporter une mécanique unique et à terme une nouvelle possibilité. Il ne doit pas être une punition gratuite comme dans les vieux RPG japonais

Narration

Mario Kart est très arcade dans sa philosophie. Le jeu existe d’ailleurs sur une borne créée en collaboration avec SEGA et Namco. Ce n’est donc pas par son scénario que le jeu va se démarquer et la carapace bleue du titre n’exploite absolument pas cette dimension. Il est pourtant possible d’exploiter cet aspect, comme d’autres jeux ont su le faire.

La pop culture

On ne peut pas dire que les combats de vers de terre de Worms brillent par leur scénario non plus. L’équipe de Team17 à cependant eu l’ingéniosité et le bon goût de puiser dans leur propre culture lors de la création de l’objet. La Sainte-Grenade est en effet un hommage direct à l’arme utilisé par le roi Arthur dans Monty Python : Sacré Graal !

La Sainte grenade qui débarrassa le roi Arthur de l’impitoyable lapin.

Des Anglais qui font référence à de la culture populaire anglaise. Tout comme on peut trouver des références à La cité de la peur ou au grand détournement dans les succès de certains jeux. La culture pop, geek ou web est un puits sans fond dans lequel puiser pour habiller votre technique de la carapace bleue.

Exploitez votre lore

La carapace bleue de Mario Kart n’est visuellement qu’une copie recolorée (et un peu fainéante) des autres carapaces du jeu. La technique est pourtant l’occasion d’utiliser les éléments de votre univers.

Si le Tomberry est un ennemi exclusif aux ruines de Centra de Final Fantasy VIII, il est aussi un personnage déjà existant de la saga. En effet, tout en changeant d’ambiance, de monde et même de style, la série réutilise certains éléments d’un épisode à l’autre. Les mogs, et les Chocobos sont d’autres créatures que l’on peut retrouver tout au long des différents jeux. Cette continuité permet ainsi de créer un lore plus efficace auprès des fans de la saga.

Si dans un prochain épisode de Final Fantasy, un joueur fidèle aura à affronter un Tomberry pour une quête annexe, il saura immédiatement à quoi s’en tenir. L’effet de peur peut de cette façon être multiplié d’un jeu à un autre.

Appuyez votre scénario

Dans le cas d’un jeu à scénario, la technique de la carapace bleue peut être utilisée pour renforcer votre histoire.

Dans FF VII, le Zolem de Midgard est un symbole de puissance et un pallier de difficulté pour le joueur en début de jeu. Quelques heures de jeu plus tard, découvrir celui-ci embroché par Sephirot permet ainsi de montrer le pouvoir immense du personnage. Le Zolem qui était l’élément de peur, est ridiculisé par le nouvel ennemi, dont on comprend immédiatement le gigantesque pouvoir.

En fin de jeu, une fois la quête principale terminée, le joueur peut décider de se frotter aux plus gros boss de l’aventure : les armes. Le scénario principal, en faisant intervenir plusieurs d’entre elles, a permis de donner un aperçu de leur puissance et de générer de la peur auprès du joueur. La technique permet ainsi de créer un pallier de difficulté sur le scénario principal, tout en créant une quête annexe pour les joueurs les plus courageux. Ce new game + déguisé va tout d’abord utiliser la peur, puis une fois les armes détruites donnera un sentiment de puissance au joueur. Il aura vaincu “le vrai boss de fin” comme on disait dans les années 90.

Utiliser les codes établis

Lorsque le jeu prend place dans un univers déjà existant ou partiellement codifié, vous pouvez vous appuyer sur un classique du genre comme base de votre mécanique.

Le cheval de Troyes, un classique qui a fait ses preuves.

Sea of Thieves plonge le joueur dans univers de piraterie bien connu du grand public. On y retrouve les traditionnelles de la jambe de bois, les batailles navales et les bouteilles de rhum. La belle vie en somme. Dans ce monde, aux règles et aux habitudes bien ancrées, il n’est pas nécessaire de créer un nouvel élément et se rattacher aux mythes préexistant est un bon moyen d’appuyer encore plus l’appartenance à cet univers. Le Kraken était la créature idéale pour exploiter la technique de la carapace bleue. Celui-ci est en effet déjà connu du public, génère la peur des marins grâce la puissance démesurée dont il dispose. On n’aurait pas pu faire mieux en inventant un autre monstre.

Reprendre ou inventer.

Selon votre projet, les exemples présentés ci-dessus ne seront pas adaptés à votre situation. Il va falloir définir si la forme de votre mécanique doit être reprise du préexistant (pop culture, code culturel) ou inventée de toute pièce (lore, scénario). Les conditions ne dépendent pas uniquement de votre jeu, mais aussi (et surtout) de vos moyens.

Si vous êtes une toute petite équipe (ou un solodev), vous n’avez peut-être pas le temps et les moyens pour inventer une forme originale à votre technique de la carapace bleue. Vous pouvez alors chercher dans la culture populaire un élément à exploiter. Pour le trouver, faites-vous tout simplement plaisir.

  • Quel est votre film, livre, ou album préféré ?
    Citez-le discrètement.
  • Quelle blague vous fait-elle toujours peur, rire, ou pleurer depuis des années ?
    Réappropriez-vous celle-ci.
  • Sur quel jeu auriez-vous aimé travailler ?
    Faites-lui un hommage.

Dans le cas d’une plus grosse structure, ou avec plus de moyens, voyez sur le long terme.

  • Créer un lore spécifique à vos jeux pour les réutiliser ensuite.
  • Votre production est scénarisée par un membre de l’équipe ?
    Demandez-lui d’incorporer la technique de la carapace bleue.
  • Personne en interne ? Embauchez un freelance pour vous aider à aller plus loin.
    • Un narrative designer pour peaufiner la relation entre mécanique et narration de votre jeu.
    • Un consultant externe pour valider votre univers
      Un historien si vous faites un jeu médiéval, un médecin si c’est un titre médical, etc.
    • On vous commande un jeu à licence ?
      Aller chercher le plus érudit de cet univers et demandez-lui son avis.

Théâtraliser

Vous avez votre mécanique, son nom, et même son apparence. Dernière étape pour rendre celle-ci légendaire, en mettre plein les yeux et les oreilles.

Sound design

Souvent sous-estimé, le sound design donne pourtant une dimension immersive supplémentaire a bien des jeux.

La carapace bleue de Mario Kart exploite ainsi le son afin de générer de la peur. Inutile de voir cette menace qui arrive sur vous quand vous pouvez l’entendre. Vous rouliez paisiblement en tête quand ce “tu tu tu tu…”  est venu résonner à vos oreilles. Vite ! Tout debout sur le frein il faut passer second.

Le Kraken de SoT utilise globalement la même méthode. Vous étiez tranquille en train de faire cuire votre queue éclaboussante mousseuse, quand tout à coup vous avez entendu la musique du monstre marin. Oh bordel, enlevez-moi ce poisson de la poêle, prenez des boulets, rechargez votre sniper et tout le monde sur le pont.

Un seul son peut parfois faire très, très peur.

Si votre mécanique n’est pas invisible, vous pouvez à l’inverse utiliser le sound design pour renforcer sa présence. La sainte grenade de Worms est largement visible une fois lancée. Mais pour se moquer encore plus de son adversaire, son lanceur peut chanter en chœur “AAAAllélui” avec l’explosion de la bombe. La zone de dégâts est exactement la même avec ou sans le son, mais l’effet auprès de la victime n’en sera que décuplé.

Si vous manquez d’idées, ou de matériel pour donner du peps à votre mécanique, vous pouvez embaucher un sound designer freelance.

La pyrotechnie

De le même façon qu’avec le son, votre technique de la carapace bleue doit être visuellement forte et reconnaissable. De ce côté on va très vite arriver sur les clichés avec des éclairs, des flashs lumineux, etc. Des procédés un peu stéréotypés, mais qui ont fait leurs preuves.

Le BFG de DOOM dévaste tous les démons à l’écran, mais il le fait avec une multitude d’effets visuels combinés. Un peu de lumière verte, des éclairs, une onde de choc visuelle et une animation de chargement qui va bien mettre en avant la montée en puissance avant le déclenchement de l’arme. Si le résultat brut serait, exactement le même sans la pyrotechnie, le plaisir du joueur est quant à lui décuplé par le plaisir visuel du Big Fuckin Gun.

Le principal danger des effets du genre réside dans le délicat équilibre entre en faire des caisses avec la classe et se faire arrêter par la police du bon goût. Quand Bruce Willis en rajoute des tonnes dans Die Hard, on lui trouve quand même une certaine classe. Alors que Matt Hannon qui cabotine dans Samouraï Cop, ça n’a pas le même effet. Je vous avais dit que mes références cinématographiques étaient fantastiques.

Les effets spéciaux sont aussi ce qui vieillit le plus mal avec le temps. Relancez S.O.S. Fantômes en version 4K, et on discutera ensemble de comment des éclairs créés en 1984 peuvent devenir ridicules aujourd’hui. On voit malheureusement encore très souvent des jeux Xbox One ou PS4 utiliser des effets dignes de la PlayStation 2. Pensez donc à faire quelque chose qui ne donnerait pas une image vieillotte de votre jeu trop rapidement, en restant simple et dans des techniques que vous maitrisez.

Devenez de la pop culture

DIY

La magie de la carapace bleue, c’est qu’une fois la console éteinte les joueurs s’en souviennent. Qu’il s’agisse de pilotes ayant perdu 4 à 5 places au dernier moment, ou du petit dernier à être remonté en tête grâce au bordel généré par son arme, tout le monde a son souvenir. Ces petites histoires ont forgé avec le temps une réputation à l’objet qui est devenu peu à peu un sujet récurrent de blagues, de memes internet et de créations artistiques

Si la technique fonctionne correctement, ce sont même les joueurs qui vont s’emparer de votre invention pour se la réapproprier (on reparlera de tout ce concept dans un autre article). Mais n’oubliez pas que quoi que vous ayez prévu, vous ne pouvez pas prédire ce que les internets ou la culture pop en feront. Les fans arts peuvent en effet très vite dériver sur des sujets plus “grivois” ou être poussé à l’extrême. Le créateur du lapin du métro ne se doutait certainement pas de ce que deviendrait son personnage dans les Kassos.

Pour pousser les choses dans un sens qui va vous mettre en avant, n’hésitez pas à fournir vous-même les premiers éléments. Demandez à votre graphiste de concevoir des papertoys. Envoyez votre community manager organiser un concours de dessin. Suivez le web pour découvrir et partager les productions de fans qui seront liées à votre jeu.

Retour sur investissements

Quand un objet, ou un personnage, marque autant les joueurs, c’est l’occasion d’en faire des produits dérivés. Car si la raison première de la technique de la carapace bleue n’est pas de gagner du pognon, un peu de retour indirect sur investissement ne fait jamais de mal.

Au-delà de la partie purement financière, imaginez votre sourire quand vous croiserez dans la rue, au bar, ou à la sortie de l’école, quelqu’un portant un T-shirt à l’effigie de votre carapace bleue. Si avec tout ça ne je ne vous ai pas convaincu, je ne sais plus quoi faire.

À vous de jouer

Si vous êtes encore là après ces 30 minutes de lecture, j’espère vous avoir inspiré et donné envie de créer votre propre technique de la carapace bleue. Prenez quelque temps pour y réfléchir. Essayez de trouver s’il se cache une carapace dans le dernier jeu auquel vous avez joué. D’ici quelques jours j’espère que vous aurez vous-même posé les bases de votre mécanique.


Cet article vous a plu ? Il est sous licence beerware. N’hésitez donc pas à le partager à vos amis solodevs, à votre équipe si vous êtes un studio, et globalement à n’importe qui bossant sur un jeu vidéo. Vous pouvez aussi consulter mes autres articles destinés à améliorer vos jeux, ou me contacter pour une demande de consulting.



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Tous les gifs de l’article sont tirés du film Monty Python : Sacré Graal !, un classique à voir et revoir, qui aura (comme toute l’œuvre des Monthy python) influencé une génération entière de la culture geek.

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